La violence masculine dans le couple hétérosexuel

Après avoir décrit les sources de la violence conjugale des hommes dans le précèdent post « La violence conjugale : pourquoi dominer l’être aimé ? », j’aborde ici certaines spécificités liées au couple hétérosexuel.

Je vais commencer par détailler quelques facteurs psychologiques expliquant en partie la violence des hommes envers les femmes, notamment au sein de leur couple.

Sources de la violence envers les femmes dans le couple hétérosexuel

Chez de nombreux hommes ayant intériorisé les injonctions à la virilité, la frustration de leur désir par autrui est vécue comme une humiliation insupportable signe d’infériorité (cf « La vulnérabilité affective : source cachée de la violence masculine »). Cette frustration sera encore plus importante lorsqu’ils considèrent l’autre comme plus faible et devant leur obéir. Or, plus ces hommes auront intégré les stéréotypes sexistes, plus ils penseront qu’une femme est faible et que « leur » femme doit leur obéir. Le sentiment d’humiliation, ainsi que la violence qui en résulte, seront donc encore plus intenses pour eux lorsque c’est leur compagne qui les frustre.

Par ailleurs, ils peuvent avoir intériorisé un mépris envers les femmes, les amenant à les considérer comme moins importantes et donc moins en droit d’être respectées. Même avec leur compagne, ce mépris peut alimenter leur sentiment de légitimité à la dominer comme si elle leur appartenait et ne méritait pas le respect. S’ils ont grandi dans un environnement sexiste, la violence envers leur compagne peut être banalisée et normalisée comme étant inévitable et faisant partie de l’ordre des choses.

Enfin, pour les hommes, la domination physique est plus accessible et comporte moins de risques face à une femme. Cela découle à la fois des différences morphologiques, mais également de l’apprentissage des hommes à user de leur force et à désinhiber leur violence, contrairement aux femmes qui apprennent à la contenir. Ce constat favorise inévitablement le passage à l’acte violent des hommes envers les femmes.

Etre soumis ou violent : le « dilemme » de l’homme viriliste

Leur degré d’intériorisation des normes sexistes favorise donc la violence des hommes envers les femmes. Néanmoins, beaucoup d’hommes violents ont aussi intégré une honte morale à user de violence physique envers une femme. L’idéal viril est d’ailleurs souvent représenté comme un homme maître de ses émotions qui ne frappe pas les personnes « faibles ». Autrement dit : un « vrai » mec ne frappe pas les femmes.

Quand ils se sentiront humiliés par leur compagne, ces hommes devront donc « choisir » entre ne rien faire et se sentir soumis ou bien user de violence et se sentir coupable, entre être un « homme faible et soumis » ou « un homme qui frappe sa femme ». Chacune de ces positions leur étant insupportable, ils oscilleront souvent entre les deux. Leurs changements participeront à l’instauration du cycle des violences conjugales avec des accalmies et des explosions quand ils n’arrivent plus à se contenir.

S’ils essayent de retenir leur violence, une colère sourde grandira alors en eux. Il est malheureusement pratiquement impossible qu’ils parviennent à contenir durablement leur violence sans effectuer un travail thérapeutique pour en comprendre la source.

De plus, laisser exploser leur violence sera tentant, car les injonctions à la virilité leur permettent d’y trouver un sentiment de force valorisant et addictif. Bien qu’en partie honteuse, cette violence aura comme bénéfice secondaire de les soulager en leur faisant se sentir à nouveau l’homme fort et dominant qu’ils désirent être.

Le couple hétérosexuel : théâtre d’une pièce couramment tragique  

Comme évoqué dans le précédent post, pour tout un chacun, les relations de couple sont un lieu potentiellement insécurisant et frustrant où l’on se sent vulnérable car on en espère beaucoup. Pour construire un couple sain et égalitaire, il faut être capable de supporter les frustrations, de faire des compromis et de s’adapter tout en posant ses limites. Autrement dit, grâce à la communication, il faut nouer une relation où les désirs et les limites de chacun sont pris en compte. Mais cet idéal est complexe et, comme nous l’avons vu, beaucoup d’hommes sont incapables de supporter la frustration et de s’adapter au désir de l’autre, en particulier avec les femmes.

En plus de la violence masculine envers les femmes, l’autre élément qui fait du couple hétérosexuel le lieu de nombreuses tragédies est le conditionnement des femmes à accepter cette violence de leur compagnon. À l’inverse des hommes, les normes de genre vont amener beaucoup de femmes à se plier aux désirs de l’autre et à s’oublier dans la relation. Si elles ont intériorisé ces normes, elles pourront aussi banaliser la violence des hommes et s’en sentir responsables. Enfin, plus elles manqueront d’estime d’elles-mêmes, plus elles deviendront dépendantes affectivement de leur compagnon et toléreront sa violence par peur de le perdre.

Quand ces femmes sont en couple avec des hommes particulièrement virilistes et insécures, un même drame se rejoue souvent.

La réalité de chaque situation est différente, mais en simplifiant, on peut décrire ainsi la pièce tragique qui se répète dans de nombreux couples hétérosexuels.

C’est la rencontre d’un homme désirant dominer pour se sentir fort et d’une femme prête à se soumettre pour obtenir l’amour qu’elle craint ne pas mériter. Tous deux sont avant tout gouvernés par leurs craintes et leurs insécurités. Ils font de leur couple une forteresse protectrice où fuir leurs angoisses. Cependant, celles-ci réapparaissent transformant petit à petit leur forteresse en prison. Incapable de supporter le sentiment d’être frustré par sa femme, l’homme deviendra violent au risque de la perdre, mais incapable de supporter le sentiment d’être rejetée, la femme tolérera cette violence au risque de se perdre. Les angoisses de chacun s’entremêlent et le cycle des violences conjugales prend place dans un crescendo tragique.

Deux fins sont possibles : une violence irréparable (féminicide, décès du compagnon par légitime défense, etc.) ou une prise de conscience de la femme et une fuite salvatrice si elle trouve du soutien pour l’aider et la protéger (amies, association, famille, justice, etc.).  Un changement significatif de l’homme est par contre extrêmement rare.

Conclusion

Ce schéma de couple est malheureusement courant. Il existe cependant de nombreuses autres raisons expliquant le maintien de ces couples malgré la violence (emprise, contrainte financière et administrative, peur, banalisation, culpabilité, défaillance judiciaire, menace, etc.).

On pourrait penser qu’il suffirait aux femmes d’éviter ces hommes et de ne pas nouer de relation avec eux, mais la réalité est beaucoup plus complexe. Dans le prochain post, je développerai comment, à travers la figure du « Bad boy », l’idéal viril aliène le désir féminin et explique en partie la création de ces couples.

Pour aller plus loin :

« Réinventer l’amour : Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelle » de Mona Cholet

« La volonté de changer : les hommes, la masculinité et l’amour » de Bell Hooks

« Pourquoi le patriarcat ? » de Carol Gilligan

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