Les tragédies du genre : L’homme et le piège de la virilité

Les normes de genre tendent à nous enfermer dans des rôles, nous condamnant ainsi à rejouer sans cesse les mêmes pièces, souvent tragiques. Je tente ici de décrire l’une d’entre elle. D’autres suivront peut-être si le principe vous plait.

Précision : Cette « pièce » ne se veut pas représentative du vécu de tous les hommes, elle cherche à décrire un rôle dans lequel les hommes peuvent se retrouver emprisonnés. Même si l’ambiguïté est voulue dans le texte, « l’homme » désigne donc un personnage fictif, et non les hommes de manière générale. Enfin, ce texte est plus romancé est donc inévitablement moins rigoureux que les autres publications. Bonne lecture à vous, j’espère que ce format vous plaira ! 

L’homme et le piège de la virilité

Acte I : Le pacte

Alors qu’il n’est encore qu’un enfant, la virilité propose un pacte à l’homme : « si tu me jure fidélité et respecte mes règles, tu seras considéré comme viril et obtiendras réussite, respect, conquête amoureuse et pouvoir ». Pour le convaincre, elle le met en garde : « si tu refuses, tu risques d’être rejeté par les autres hommes et non désiré par les femmes ». L’enfant regarde autour de lui et constate la vérité de ces paroles. Elle ajoute « il faut te méfier des autres, mais si tu m’obéis, tu obtiendras également la force de te protéger d’eux ». Craignant le rejet et la malveillance de ses pairs, le jeune garçon accepte le pacte sans réaliser qu’il vient de se condamner…

Personne ne l’a prévenu que la plupart des règles s’oppose à ses besoins affectifs et l’empêcheront d’avoir une communication saine avec les autres. La virilité lui a même menti : « En tant qu’homme, tu n’as pas autant de besoins affectifs que les femmes ». Une des règles est particulièrement toxique, elle énonce : « exprimer sa souffrance et désirer de l’aide sont interdits car ce sont des signes de faiblesse honteux ».

Par ce pacte, la virilité lui empêche donc d’admettre ses souffrances et de les exprimer autrement qu’en les dissimulant derrière sa colère. Or, comme tout humain, l’homme a le besoin émotionnel d’exprimer sa souffrance et d’être compris et soutenu par ses proches.

Acte II : L’impasse

Sans le savoir, l’homme sacrifie sa capacité à s’épanouir affectivement et à se faire comprendre authentiquement. Désormais, quand autrui lui cause une blessure affective, il est alors totalement démuni et pris au piège de la virilité. En grandissant, il tente donc d’éviter cela à tout prix en essayant de dominer et contrôler autrui.

Néanmoins, ses besoins émotionnels perdurent, si bien qu’un jour il rencontre une personne dont il ose et désire se rapprocher affectivement. Mais un lien fort implique inévitablement d’être parfois blessé et déçu, cela fini donc par arriver. L’homme ressent alors une souffrance affective intense et terriblement honteuse car témoignant de ses besoins affectifs refoulés, que la virilité lui avait caché. Au lieu de prendre conscience du mensonge dont il est prisonnier, il pense que le problème vient de lui. Il se sent faible et naïf d’avoir donné sa confiance, alors que la virilité l’avait depuis longtemps mis en garde. Comme quelqu’un s’étant momentanément égaré, cette désillusion le ramène d’autant plus sous l’emprise de la virilité.

Complexe et terriblement intense, l’homme est incapable de comprendre et d’exprimer sa souffrance. Il est submergé par ses émotions qui prennent la forme d’une colère vengeresse. Mais punir l’autre ne l’apaise pas réellement. Il reste prisonnier de cette colère sans trouver d’issues lui permettant de s’apaiser. A ce moment-là, il ne réalise pas que cette issue, il l’a sacrifié il y a longtemps sur l’autel de la virilité.

Cette issue serait d’admette sa souffrance et de parvenir à la communiquer de manière authentique et non violente en sollicitant l’aide d’autrui. En effet, nos émotions ont besoin d’être exprimées authentiquement pour pouvoir s’apaiser. Quand nous souffrons, la compréhension de nos émotions par nos proches est particulièrement importante.

 Malheureusement le pacte de l’homme avec la virilité l’empêche non seulement d’exprimer sa souffrance mais également de l’admettre et de la comprendre. Ne pouvant sortir, sa souffrance s’accumule et le ronge de l’intérieur. La seule possibilité pour sa souffrance de se faire entendre est de se transformer en colère, espérant que quelqu’un comprenne ce qu’elle cache.

Epilogue : Solitude

Mais la colère joue très mal ce rôle ; elle prend toute la place et invisibilise la souffrance de l’homme. Si la virilité n’en a pas privé l’homme, c’est qu’elle savait que l’usage de la colère l’isolerait, renforçant ainsi son emprise sur lui. 

En effet, dominé par sa colère, l’homme blessera ses proches. Au lieu de les amener à prendre soin de lui, sa colère va donc susciter leur rejet et leur hostilité. Mais assourdie par sa propre souffrance, l’homme ne peut pas entendre celle des autres. A l’inverse, il vit les reproches comme une profonde injustice car ses émotions lui hurlent que personne n’a jamais entendu sa souffrance et que c’est lui la « vraie » victime.

Gangréné par sa colère, il se sent de plus en plus incompris et s’accroche donc encore davantage à sa seule compagne : la virilité. Sa rancœur grandit sans qu’il ne réalise que si personne n’a entendu sa souffrance, c’est qu’il ne l’a jamais écouté et exprimé lui-même. S’il est victime, c’est d’abord de la virilité qui, il y a longtemps, l’a dupé et condamné. Ses malheurs devraient le lui faire comprendre. Cependant, totalement sous l’emprise de la virilité, il les interprète à l’inverse comme la preuve qu’elle disait vrai : « tu avais raisons depuis le début, dans la vie il faut être fort, égoïste et dominant car on ne peut pas faire confiance aux autres » lui dit-il.

La virilité a alors accompli ce pourquoi elle avait été conçue il y a des siècles : transformer les jeunes garçons en hommes froids et violents afin qu’ils puissent dominer l’ordre social par leur violence envers les femmes et les autres groupes d’hommes.

Un jour, une personne parviendra peut-être à voir la souffrance de l’homme derrière sa colère et à l’en délivrer. Malheureusement, il est probable que l’homme ne parvienne pas à trahir la virilité et soit incapable d’admette cette souffrance. Il demeurera alors prisonnier et se condamnera à une vie de désillusion, de frustration, et de solitude affective profonde.

Morale :

Il est urgent d’apprendre aux hommes à voir et exprimer la souffrance derrière leurs colères (sentiment de rejet, tristesse, honte, peur) et de militer contre l’idéal de virilité qui fait souffrir les hommes tout en attisant leur violence

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