L’essence de la virilité

Afin de pouvoir aborder prochainement les effets toxiques de l’idéal viril sur le désir féminin, je vais commencer par deux posts qui analyseront la virilité et expliqueront pourquoi elle valorise les hommes violents.

L’idéal viril : la norme de genre masculine

Comme le souligne Olivia Gazalé dans son livre Le mythe de la virilité, à travers des injonctions courantes telles que « Sois un homme ! » « Comporte-toi comme un homme ! », on comprend que la norme masculine « être un homme » est paradoxalement un idéal qui ne va pas de soi et qu’il faut atteindre avec effort. À la fois norme et idéal, la norme masculine banalise la « perfection » et crée un paradoxe extrêmement toxique pour l’estime de soi des hommes. En effet, transformer un idéal peu accessible en norme est une violence qui fragilise l’estime de soi des individus. On le constate également avec les normes corporelles auxquelles sont exposées les femmes.

Cet idéal masculin omniprésent est ce qu’on nomme couramment virilité. On retrouve ce paradoxe norme/idéal dans l’étymologie même du mot virilité qui prend ses racines dans le latin vir dérivé du sanskrit virâ, signifiant à la fois le mâle, le héros, comme si ces deux termes étaient équivalents.

Actuellement, presque tout le monde utilise le mot virilité mais chacun lui donne un sens un peu différent. Par exemple, certains utilisent ce mot comme un synonyme de désirable s’appliquant à l’homme. Le mot virilité peut se définir de plusieurs façons. Sur cette page, j’emploie ce terme dans son sens qui me paraît le plus commun défini ainsi par le CNRTL : « Ensemble des qualités (fermeté, courage, force, vigueur, etc.) culturellement attribuées à l’homme adulte. »

Cependant, cette définition reste assez floue car elle définit la virilité par une simple liste sans en dégager de cohérence. Je vais donc tenter de décrire plus précisément ce qui me semble au cœur de la virilité en analysant et comparant les mots associés aux normes masculines et féminines. Pour essayer d’en dégager une cohérence je vais séparer ces mots en deux catégories : l’agir et la sensibilité.  

L’agir selon les normes de genre

Les mots pouvant désigner les caractéristiques de l’agir masculin sont : fort, imposant, affirmé, ferme, puissant, vigoureux, maîtrisé, dominant, brusque, rude, impétueux, violent, etc. Pour le féminin : faible, passif, soumis, doux, délicat, prévenant, bienveillant, conciliant, attentionné, etc.

On constate que le féminin est associé à un faible pouvoir d’action mis à part sa capacité à prendre soin. En effet, ce qui caractérise l’agir féminin semble être un désir de ne pas porter préjudice à son environnement et donc à autrui.

À l’inverse, le masculin est associé à une capacité importante d’agir permettant de maîtriser son environnement et soi-même. Mais certains adjectifs (dominant, brusque, violent) semblent indiquer une potentielle non-prise en compte d’autrui, pouvant l’amener volontairement ou non à le faire souffrir. Le cœur de l’agir masculin semble donc être le pouvoir de contraindre son environnement afin d’imposer son désir. La force, qui est un terme particulièrement employé pour désigner l’idéal viril, peut justement se définir comme « pouvoir de contrainte ».

La sensibilité selon les normes de genre

Les mots pouvant désigner la sensibilité masculine sont : durs, robustes, solides, stoïques, résistants, invulnérables, inébranlables, insensible etc. Ceux désignant la sensibilité féminine sont : émotives, fragiles, sensibles, empathiques, compatissantes, etc.

Concernant la sensibilité externe à l’environnement on constate que le masculin est associé à une capacité de fermeture, d’imperméabilité à son environnement et donc à autrui, et le féminin à une ouverture et une perméabilité. A propos de la sensibilité interne, le masculin est associé au contrôle de ses émotions (courageux, maitre de soi, stoïque) et le féminin à l’acceptation de ses émotions et de leur expression (sensible, émotive, hystérique).

Le féminin est donc perméable à son environnement, ce qui lui donne une capacité très fine d’écoute, de compréhension et de prise en compte de l’autre, mais aussi une incapacité à ne pas être affectée, influencée, autrement dit une plus grande vulnérabilité. Alliée à ces capacités d’agir avec douceur et prévenance, cette ouverture à l’environnement donne au féminin de grandes compétences de soins et d’adaptation.

À l’inverse, le masculin parvient à ne pas être affecté, influencé et endommagé par ce qui est externe, voire même à ne pas y être réceptif. Mais on peut aussi y voir un manque de sensibilité et une incapacité à ressentir et comprendre son environnement.

Alors que l’agir masculin permet de dominer les résistances externes à l’accomplissement de son désir, ces capacités d’imperméabilité et d’invulnérabilité permettent au masculin d’empêcher l’émergence de résistances internes (la peur, le doute, la compassion ou même le besoin d’affection). Si jamais ces émotions émergent malgré tout, les capacités masculines de courage et maîtrise de soi permettront à l’homme de dominer et contraindre ces résistances internes.

Le cœur de la virilité : la force

Le cœur de la virilité parait donc être la force dans le sens d’un pouvoir de contrainte sur soi et l’extérieur permettant à l’homme de réaliser son désir et d’éviter les sentiments d’impuissance et de soumission.

On comprend alors que le consentement pose problème à la virilité et que celle-ci favorise inévitablement la culture du viol. D’une certaine manière la virilité est le pouvoir d’éviter la frustration. Paradoxalement, l’intériorisation des injonctions à la virilité multiplie justement l’intensité et la fréquence de nos frustrations ( cf les précédents articles).

La virilité un idéal toxique

La norme féminine semble donc décrire la condition du vivant qui n’est pas seul et tout-puissant, mais vulnérable et dépendant d’un environnement auquel il doit s’adapter et collaborer. À l’inverse, la norme masculine décrit une sorte d’idéal de toute-puissance irréaliste, voire immature. L’homme pourrait s’y suffire à lui-même et imposer son désir grâce à sa puissance, sans avoir à prendre en compte son environnement qui est uniquement perçu comme un obstacle potentiel dont il faut se couper pour mieux le dominer.

On comprend donc le lien qu’il peut avoir entre cette idéal viril et la construction de sociétés patriarcales basées sur des rapports de dominations entre humains (sexisme, racisme etc.) et envers la nature. De plus, il est logique mais intéressant de noté que les normes de genre décrivent exactement les qualités requises dans les principales tâches culturellement assignées au masculin et au féminin, respectivement le combat et le soin des personnes vulnérables, principalement des enfants.

Enfin, ce rejet de la vulnérabilité du vivant par l’idéal viril, se voit également à travers les termes qualifiant la sensibilité masculine. En effet, on constate que beaucoup de ces mots utilisent la métaphore matérielle (solide, dur, ferme), notamment la comparaison à la pierre comme dans l’expression « solide comme un roc ». Comme si l’idéal viril était en fait de devenir un rocher inerte qui dévale une pente en écrasant ses obstacles. On comprend donc que les injonctions à la virilité peuvent favoriser le mal être émotionnel et la violence des hommes qui y sont trop exposés.

Précisions :

Les mots que j’associe au féminin et au masculin sont évidemment non-exhaustifs, stéréotypés et décrivent les normes de genre et non la réalité des individus. De plus, quand je parle du rapport à l’environnement selon le genre, cela qualifie tout ce qui est externe à la personne donc en grande partie sa relation aux autres.

Livre pour aller plus loin : « Le mythe de la virilité » d’Olivia Gazalé

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