Tous les hommes virils ne sont pas violents, mais tous les hommes violents sont virils 

L’homme viril : un homme fort et affirmé

Dans l’article précèdent, nous avons vu qu’au cœur de la virilité se trouve la force dans le sens d’un pouvoir de contrainte. Un homme viril est donc un homme fort, autrement dit, un homme capable de s’affirmer avec confiance et d’imposer son désir malgré les résistances externes ou internes.

Signe de virilité, ce pouvoir de contrainte peut prendre plusieurs formes plus ou moins valorisées selon les milieux (force physique, pouvoir économique, comportement intimidant et violent, influence, armes, statut social, etc.), tout ce qui peut permettre d’imposer son désir à l’autre et ainsi de ne jamais devoir se soumettre.

Dans l’absolu, un homme viril ne s’impose pas forcément avec force, mais il doit en être capable. Cependant, un homme capable de s’imposer mais ne le faisant jamais ne sera pas perçu comme tel. Concrètement, il faut donc souvent que les hommes usent de leur force et s’imposent afin de prouver aux autres et à eux-mêmes qu’ils en sont capables et sont donc virils. Autrement dit, le critère de jugement le plus visible et utilisé pour juger de la virilité d’un homme va souvent être son affirmation de soi et sa non-soumission au désir des autres.

Plus un homme désire être viril, plus il va donc chercher à s’affirmer et imposer son désir de manière visible. Par exemple, faire du bruit s’il le veut, regarder où il veut, dire ce qu’il veut, transgresser s’il le veut, etc. Cela explique entre autres pourquoi les hommes prennent autant de place dans l’espace public.

Un des nombreux problèmes de ce conditionnement de l’estime masculine à l’affirmation de soi est que cela crée un jeu à somme nulle. C’est-à-dire que plus un homme s’affirme, plus un autre sera perçu comme soumis s’il ne réagit pas. Cela peut vite créer une escalade d’affirmation de soi menant à de la violence dans leurs relations. De plus, cela insécurise l’estime de soi des hommes car ils doivent prouver leur virilité à chaque nouvelle interaction et peuvent à tout moment paraitre faible s’il ne s’affirme pas. Pour certain leur vie devient alors une compétition permanente et anxiogène. L’idéal viril pousse donc les hommes à une affirmation de soi abusive et excessive afin de prouver à eux et aux autres leur virilité. On pourrait comparer cela à une sorte de parade nuptiale constante et agressive.

Comme les hommes dominent nos sociétés, le monde entier devient également le terrain de jeu de leurs compétitions viriles. D’autant plus que toute réussite est une preuve virile d’être parvenu à imposer son désir face à celui de ces concurrents. Ainsi, guerre, politique, économie, sport, art, séduction, tous ces domaines sont gangrénés par la virilité et servent principalement aux hommes à s’affirmer et prouver leur force. Les femmes seront souvent utilisées comme juges et trophée permettant aux hommes d’évaluer leur virilité et de déterminer les vainqueurs et les perdants. 

Au lieu d’être construites sur le bon sens et l’intérêt commun, nos sociétés sont donc en partie construites autour des complexes virils des hommes dominants et de leur volonté de prouver leur puissance.

L’homme violent : un homme viril

Imposer son désir par la force est la définition même de la violence. On comprend donc que ce qui rend un homme viril est d’une certaine manière sa capacité à user de violence. Offrant un pouvoir de contrainte immense, pour les hommes la violence est perçue comme une forme d’affirmation de soi extrême et valorisante. Toutefois, il faut pour cela qu’elle soit considérée comme légitime.

En effet, l’idéal viril est également lié à la notion de justice. Il représente souvent un homme qui utilise la violence sur des « ennemis » pour faire régner sa justice. C’est la figure du super-héros qui use de violence, voire du meurtre, afin d’imposer son désir de justice.

Un homme qui abuse injustement de son pouvoir pour opprimer les faibles sera vu comme un homme viril corrompu, perdant ainsi son statut de virilité. C’est comme s’il y avait le bon et le mauvais « mec viril », cette opposition binaire étant incarnée, par exemple, par l’opposition entre le super-héros et le super-vilain.

Malheureusement, cela reste très abstrait, car en réalité chacun a une perception personnelle de la justice et a des « ennemis » différents. La plupart des hommes violents se sentent légitimes voire héroïques. Dès qu’un homme est violent, il existera donc des personnes partageant son point de vue qui considéreront sa violence comme juste et virile. Ainsi, les hommes violents deviennent en ce sens des hommes très virils qui seront adulés par ceux partageant leur vision de la justice ou méprisés par ceux en désaccord. D’une certaine manière, tous les hommes virils ne sont pas violents, mais tous les hommes violents sont jugés virils.

En acceptant et valorisant la violence légitime, la virilité encourage finalement les hommes à user de violence pour se faire justice. On comprend donc que la virilité est en grande partie responsable de la violence du conjoint violent, du policier abusif, du meurtrier, du dictateur et de la violence masculine en général. Tant qu’il respecte sa propre morale, lorsqu’un homme utilise la violence pour dominer, il peut ainsi se sentir viril et ressentir un plaisir identitaire addictif et valorisant. La violence devient alors un moyen de performer une virilité extrême.

Cette valorisation de la force est également dangereuse car elle est en partie incompatible avec la bienveillance. En effet, imposer son désir nécessite de ne pas se soucier de celui d’autrui. Plus on est égoïste plus on gagne donc en force (pouvoir de contrainte) mais plus on perd en capacité altruiste.

 C’est pour cela que le psychopathe paraît si fort et fascinant. A l’inverse, les « hommes gentils » soucieux de ne pas blesser les autres, pourront être vus comme peu virils car ils renoncent souvent à leurs désirs. Même s’ils sont capables de s’imposer, comme ils ne le feront pas ils ne seront pas perçus comme virils. En plus de valoriser les hommes violents, l’idéal viril produit donc souvent une dévalorisation des hommes bienveillants qui savent se remettre en question et exprimer leurs vulnérabilités.

L’échelle de la virilité : du gentil garçon à l’assassin

Une échelle de la virilité peut donc être constituée. Elle irait de l’homme peureux incapable de s’affirmer, à celui trop gentil et timide, puis à l’homme affirmé, au bad boy, et enfin à l’homme dominant et violent, et à l’extrême, le tueur en série.

Comme le dit Mona Chollet dans son livre « Réinventer l’amour » : « Si la virilité est liée à la force, à la domination, à l’exercice de la violence, alors quoi de plus viril qu’un assassin ? »

Les bad boys, voire même les criminels, les dictateurs etc. deviennent alors des incarnations d’une sorte d’hyper-virilité à la fois effrayante, attirante et fascinante. Ces archétypes peuvent ainsi devenir des modèles identificatoires et des identités valorisantes à performer. De plus, ces modèles vont nous amener à relativiser les comportements problématiques des hommes moins violents qu’eux. Indirectement, les figures telles que le bad boy viennent élargir le champ de la violence masculine jugée comme acceptable (cf. fenêtre d’Overton).

Même si l’idéal viril ne prône pas directement la violence, on constate donc que quand il sort de l’abstraction, il produit une valorisation de la violence masculine et une certaine dévalorisation de la bienveillance des hommes. Dans le prochain post, nous verrons les conséquences et les dangers évidents de l’intériorisation de cet idéal viril par les femmes.

Précisions :

Dans cette définition de la virilité, on comprend que les femmes peuvent tout à fait être « viriles ». Cependant, ce mot étant employé pour les hommes, on qualifiera plutôt ces femmes de « femmes fortes ». Une autre facette de la virilité, plus superficielle, empêche en effet les femmes et les hommes efféminés d’être qualifiés de virils. Il s’agit des codes esthétiques (vêtements, couleur, attitude, etc.) que chaque culture attribue à la virilité et qui sont souvent en opposition aux codes dit féminin. Une autre dimension de la virilité que je n’ai pas développée est le rapport à la sexualité en particulier à prouver son hétérosexualité et sa puissance sexuelle.

De plus, il est important de comprendre que l’idéal viril se légitime principalement par un discours forciste : « s’il faut que les hommes soient forts et invulnérables, c’est parce que le monde est dangereux et qu’il faut se méfier des autres ». L’adhésion au forcisme favorise donc l’adhésion à la virilité, mais l’inverse est également vrai (cf article « Le forcisme »).

Enfin, on pourrait schématiser ainsi les conclusions de cette article : Homme violent = homme qui prouve être capable de violence = homme qui prouve sa force = homme viril

La réciproque n’est pas toujours vraie mais on comprends que pour un homme ayant intériorisé les injonctions à la virilité la tentation de la violence sera grande.

2 réponses à « Tous les hommes virils ne sont pas violents, mais tous les hommes violents sont virils  »

  1. « Au lieu d’être construites sur le bon sens et l’intérêt commun, nos sociétés sont donc en partie construites autour des complexes virils des hommes dominants et de leur volonté de prouver leur puissance. »
    Cette phrase est très juste!

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