Le désir féminin pris au piège de la virilité

Par souci de simplicité, je vais parler uniquement des effets de l’idéal viril sur les femmes hétérosexuelles. Cependant, ces effets peuvent être présents chez toutes les personnes attirées par des hommes.

De l’idéal viril au désir pour des « Bad boy »

Dans le précédent post intitulé « Tous les hommes virils ne sont pas violents, mais tous les hommes violents sont virils », j’ai expliqué pourquoi en valorisant la force, la virilité crée une valorisation sociale des hommes dominants et violents et une dévalorisation de ceux « trop gentils ».

Plus une femme hétérosexuelle va intérioriser l’idéal viril, plus elle sera donc attirée par les hommes dominants. Sans l’avoir choisi, certaines femmes développent une érotisation de l’affirmation et de l’agressivité masculine et associent la non-affirmation de soi à un « tue-l’amour ». Elles désirent des hommes qui s’imposent et dominent leur adversaire, mais ces comportements qui les séduisent finiront souvent par se retourner contre elles lors d’une dispute où elles deviendront « l’adversaire ». Ce désir est donc particulièrement dangereux et dommageable pour elles.

Comme nous l’avons expliqué dans le dernier post, même des meurtriers et des tueurs en série sont valorisés sur l’échelle de la virilité. Cela paraît incroyable mais ces hommes ont souvent des admiratrices qui leur écrivent des lettres d’amour. Finalement, plus un homme est violent plus certaines personnes ressentiront du dégoût à son égard mais d’autres de la fascination ; bien souvent les deux sentiments s’entremêleront.

La figure du « Bad boy » est l’incarnation de ce désir pour des hommes dangereux. La dark romance est un exemple récent de l’ampleur de l’intériorisation par certaines femmes de ces normes toxiques. (C’est un style littéraire, écrit principalement par des femmes et pour des femmes, où de nombreux ouvrages érotisent des relations de femmes avec des hommes violents.)

Effets affectifs et cognitifs

Beaucoup de femmes ont néanmoins conscience de leur conditionnement par la norme virile et du danger de leur désir. Elles peuvent aussi avoir des valeurs (pacifisme, altruisme, féminisme, etc.) opposées à ce désir (homme viril dominant).

Malheureusement, elles ressentiront tout de même cette attirance envers des hommes virils. Ce désir perturbera leur boussole affective et fera naître une dissonance cognitive très inconfortable. D’un côté leur raison, de l’autre leur désir, lequel choisir, lequel frustrer ? Peu importe leur choix, elles ne pourront pas être pleinement épanouies si elles ne parviennent pas à changer leur conditionnement et à désirer les hommes qui leur font du bien. Sans ce changement, la dissonance sera souvent résolue par un compromis plus ou moins conscient : ces femmes résisteront aux désirs les plus éloignés de leurs valeurs (bad boy violent), mais céderont à leur désir envers des hommes légèrement plus agressifs qu’elles ne l’auraient accepté par un choix juste de raison. Le fait d’avoir envisagé et désiré un extrême crée une relativisation de la violence des autres hommes. Autrement dit, cela déplace leur fenêtre d’Overton (délimitation de ce qui est acceptable ou non) concernant la violence masculine.

L’idéal viril favorise ainsi l’attirance et la tolérance des femmes hétérosexuelles vis-à-vis de l’agressivité des hommes. Sans être le seul facteur explicatif, l’intériorisation des normes viriles aliène donc le désir féminin et conditionne de nombreuses femmes à désirer des hommes qui risquent de leur faire du mal.

C’est ce que l’on nomme une norme « toxique », autrement dit une norme qui éloigne les individus de ce qui est nécessaire à leur bien-être et à celui de la société. C’est le pouvoir effrayant des normes, elles peuvent conditionner les individus à désirer ce qui leur fait du mal. On le constate également avec certaines normes corporelles pour les femmes ou les normes viriles pour les hommes.

Les autres sources du désir féminin envers des hommes violents

Toutefois, cette attirance féminine pour la violence masculine n’est pas uniquement due à l’idéal viril. Par exemple, cela peut être renforcé chez certaines femmes par leur vision forciste du monde (voir mon post « le forcisme »). Elles se méfient des autres et considèrent que la force est nécessaire pour survivre dans le combat qu’est la vie. Les hommes virils capables de violence deviennent donc des protecteurs, rassurants et désirables. Elles auront également tendance à adhérer au patriarcat et à y voir un système nécessaire auquel il faut se soumettre. Cependant, ces arguments seront parfois en partie une post-rationalisation provenant d’un besoin de cohérence cognitive. En effet, pour justifier un désir envers des hommes agressifs, l’une des seules rationalisations possibles est d’adhérer à des croyances patriarcales et forciste.

Cette attirance pour des hommes violents peut également être renforcée par une exposition précoce à la violence entraînant des blessures psychologiques profondes et la répétition traumatique de schémas affectifs. Le sentiment que l’on mérite d’être maltraité peut notamment être intériorisé et influencer nos choix de partenaires. Grandir dans la violence peut aussi rendre les environnements violents inconsciemment attirants car familiers. Un tel environnement peut aussi amener à une banalisation de la violence masculine. Pour certaines femmes, il est normal et inévitable que les hommes soient violents, impulsifs et colériques. Si leur compagnon est ainsi, elles vont le tolérer de manière fataliste.

Bien que très important, l’intériorisation de l’idéal viril n’est donc pas la seule cause de l’attirance de certaines femmes pour des hommes violents.

Un homme violent est un homme à sauver

Malheureusement, ce désir dangereux est également accentué et complété par le conditionnement de nombreuses femmes à aider et sauver les autres. En effet, quand elles seront en couple avec des hommes violents, cela produira une dynamique relationnelle particulièrement toxique.

Ce schéma sera encouragé par les fictions où l’amour permettra à une femme de sauver un ténébreux « bad boy » de sa violence. Les hommes violents deviennent donc également attirants car ils peuvent permettre aux femmes de correspondre à un modèle de sauveuse associé au romantisme. Elles pourront même trouver une identité dans le fait d’endurer la violence de leur compagnon comme une preuve d’amour sacrificiel. Cela les enfermera, et fuir la relation deviendra très difficile.

Conclusion

L’intériorisation de l’idéal viril est donc également un piège dangereux pour les femmes. Il peut dérégler leur boussole affective et les conduire tout droit vers des hommes violents. Cela explique en partie pourquoi certaines femmes ont l’impression de « tomber toujours sur des connards et jamais sur des mecs bien ».

Même celles conscientes de l’aspect toxique de leur désir s’y sentent soumises et ne savent pas comment y échapper. Comme si ce désir n’était pas sous leur contrôle et ne leur appartenait pas. Mais alors, d’où vient-il, à qui appartient-il ? Pour le comprendre, on peut simplement se demander à qui il profite ?

Évidemment, il bénéficie aux hommes dominants, violents et sexistes. Ce désir des femmes leur permet de jouir violemment de leur domination en étant désirés pour cela au lieu d’être rejetés. Plus largement, ce désir favorise la perpétuation de l’idéal viril et du patriarcat au détriment des femmes et des hommes non virils. Dans le prochain article, je développerai donc en quoi ce désir peut être vu comme une aliénation du désir féminin par et pour le patriarcat.

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